21 août 2013

LES ROUTES DE L'IMPOSSIBLE

L'album éponyme de Gorillaz dans mes oreilles. Leur musique spatiale accompagne parfaitement ce décor martien désolé. Chaque courbe débouche sur un paysage spectaculaire d'écorce terrestre plissée rougâtre avec la neige éternelle des Zanskar en arrière-plan.

Les rocs érodés prennent la forme de dunes ou celle que le vent veut bien leur donner. Les rivières sculptent des canyons aux allures de ramparts et des rocs aux strates verticales complètent la forteresse qui isole le Ladakh du reste du monde.

Le bus brasse mes pauvres os sans aucune pitié sur une trail digne de passer à l'émission Les Routes de l'Impossible sur Canal D. La route s'effrite sous nos roues, si près du bord que de ma fenêtre, je vois rien que le fond du ravin. Les pires moments sont les rencontres avec d'autres véhicules et les délibérations pour savoir qui va reculer jusqu'au passage assez large pour deux.

On passera la nuit à Sarchu. C'est tellement haut que les sacs de Lay's fendent sous la pression de l'air qu'ils contiennent. Rien ne vit à 4000m dans une telle sécheresse, à part quelques herbes. Le silence est complet. Je trouve pas le sommeil. Je frissonne sous douze couvertures, je suis déshydraté. Je réagis mal à l'altitude. Au petit matin, les yeux rougis par l'insomnie, je fais connaissance avec la bouffe ladakhi: Toast à l'odeur de propane tartinée au jello. Aussitôt englouties, aussitôt en route.

Les épingles se succèdent, la route zigzage vers le deuxième plus haut pass* carrossable du monde. Je m'exclame dans ma tête pour pas trop ressembler à mon père: "Check le pic mon homme!" On arrive à destination en après-midi. "Ça porte mal son nom, c'est pas Leh pentoute!" Aaaargh Jean sors de ce corps!






Leh, un patch de verdure au milieu du désert loin de tout et à l'abri du temps. Une culture distincte y survit. Les femmes y portent la robe de laine noire traditionelle malgré le soleil qui plombe et les 30°C. Les habitants sont d'un calme bouddhiste. Pas de vente à pression, pas de quêteux, pas de harcèlement sur les touristes, on est loin des Indes!

Avec ses temples perchés, ses maisons du désert faites de sable et de pierres et ses stupas blanches en forme de cloche, c'est un petit Lhassa. Quand la nuit tombe, la capitale est éclairée aux génératrices et aux chandelles même autour de la mosquée en plein centre-ville. Il est sage de traîner une flashlight pour éviter les bouses dans l'obscurité.

Quatre routes sortent de Leh. Trois d'entres elles se ventent d'être les plus hautes du monde. J'ai été arrêté par un glissement de terrain dans ma tentative d'atteindre le plus haut pass, Khardung la. Si près du but...

Taglang la se trouve sur la route entre Manali et Leh. On y croise que des camions Tata qui t'assurent que tu te trouves en Inde ou dans un de ces pays en stan. En saison, quelques 4x4 de touristes et un bus gouvernemental se mettent aussi au défi chaque jour.





En direction de la Chine, le troisième plus haut, Chang la. Je tente l'ascension sur ma Bajaj Pulsar avec Laeticia et 20kg de bagages. Plus on monte, plus la route ressemble à une trail, puis la trail devient pit de sable, ensuite rivière et puis re-pit de sable. Quelle joie ce serait pour un amateur de moto-cross! Moi, sur ma moto de ville de 150 forces surchargée, je me fais chier! Mon pire ennemi c'est le sable. Je m'en sors avec une pédale à break pliée, une couple de scratches, une frousse et un orgueuil froissé.

Chang la, 5289m. L'armée offre le thé aux passants assez courageux pour s'y rendre. Ils vendent aussi un bon exemple de bouffe ladakhi: Les momos! Beurk! Même dans la capitale, entre  les guesthouses et les agences de trekking, (il y en a tellement, mais je me demande bien qui veut trekker dans le désert) la bouffe est douteuse. Dès que tu t'en éloignes, c'est pire que pire. Ils arrivent à faire du riz blanc immangeable!

Indigestions par-dessus diharées explosives par-dessus indigestions et brûlements d'estomac, je veux plus manger. Je veux plus manger. Je veux plus! Je mets la "nourriture" (Oh oui ca mérite des guillemets!) dans ma bouche, c'est dégeulasse, ça s'avale pas! Je maigri... C'est une infection alimentaire qui dure 10 jours. J'ai jamais faim. J'ai la bouche pateuse et les mains desséchées. Je suis souvent dizzy et bouche bée devant la beauté du paysage. C'est à croire que je gobe cinq grammes de mush par jour.

"Prends sur toi The Bear, tu le savais que ça serait dur l'Himalaya." Quand je pense que je pourrais être un mort-vivant de l'autre coté de la planète dans mon bunker réfrigéré, à regarder la glace prendre et l'horloge numérique qui se donne même pas la peine de tourner pour donner l'impression que ça bouge, je me dis que je vis mieux ainsi.



Devant la beauté dure du Pangong tso qui devrait être réservé aux dieux, j'ai cette sensation magnifique d'accomplissement. Celle d'être finalement arrivé après tous les efforts déployés. Mes douleurs gastriques me font plus souffrir, elles me rappellent que je vis toujours.

151km parcourus en 9 heures entre Leh et le lac. Laeticia descendait souvent pour que je traverse la moto à travers le sable et les rivières. Le retour m'angoisse un peu. Le bus passe une fois semaine. C'est pas une option. Un taxi se propose pour 1000Rs et Dieu sait que j'aurais été prêt à mettre  beaucoup plus pour pas revivre l'expérience de l'aller. 1000Rs vaut mieux que retourner à Leh vide pour lui et Laeticia aura pas à marcher la moitié du chemin. Tout le monde est content. Mon retour sera beaucoup plus plaisant et en contrôle sur une moto légère.

En dix jours au Ladakh, j'ai avalé dix livres de poussière, j'ai perdu dix livres de graisse. Je me dessèche à vue d'oeil. Il est temps de partir avant de ressembler à une figue sur sa tresse. Il reste encore une route qui sort de Leh, celle de Kargil, possiblement le quatrième plus haut pass du monde, mais qui veut entendre parler d'un quatrième de file?


*Pass = Col de montagne, le point le plus bas entre deux sommet.

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